L’homme derrière le gardien de but Simon Mignolet : « J’aurais adoré une vraie vie d’étudiant »
Dans cette nouvelle rubrique, partons à la découverte de l’homme derrière le footballeur ou l’entraîneur. Qui est-il? Comment est-il devenu ce qu’il est? Que veut-il? Premier invité: Simon Mignolet.
Paru dans le mensuel Sport/Foot Magazine de mars 2022
On fait la causette avec Simon Mignolet depuis près d’une heure, il regarde sa montre et nous lance: « Ouille, il est déjà deux heures et demie. » Le gardien de Bruges peut encore nous consacrer une quinzaine de minutes et le shooting photo doit encore se faire. On accélère alors la cadence. Fin d’interview, photos, puis il file retrouver sa femme et son fils. Ses heures en dehors du foot, il les consacre en priorité à sa famille.
On n’a pas vu le temps passer. Et Mignolet a donné l’impression d’apprécier ce moment de parole. Une interview, pour un footballeur, est souvent vue comme une corvée, un mal nécessaire. Avec lui, rien de tout ça. Il faut dire que l’entretien n’a pas abordé les chances de Bruges dans la course au titre, la concurrence ou l’avance prise par l’Union Saint-Gilloise au classement. Non, on avait pris rendez-vous pour discuter non pas du footballeur, mais de l’homme, du mari, du père, du fils, du frère. Bref, de la personne qui se cache derrière le gardien de but.
Très vite, on comprend qu’il va accepter d’aller loin dans l’étalage de sa vie très privée. Chaque question est suivie instantanément d’une réponse claire et détaillée. Il nous explique qu’il réfléchit beaucoup, qu’il a un esprit analytique, qu’il ne se laisse pas emporter par les émotions. Jamais! Et quand on évoque avec lui cet aspect de sa personnalité, il ne peut s’empêcher de rigoler. « C’est un truc que ma femme me reproche parfois. Je suis très froid. En toutes circonstances. Même à la naissance de mon fils ou au moment où j’ai perdu mes deux grands-pères en l’espace de deux semaines. Tout ça me touche, évidemment, mais je ne laisse rien sortir, je ne me laisse pas submerger par les émotions. Je replace tout dans son contexte, je rationalise. Ça me permet de mieux vivre les moments douloureux, mais quand je vis un événement heureux, je ne m’emporte pas non plus. Ma femme est beaucoup plus émotionnelle, elle vit des moments pareils avec beaucoup plus d’intensité, et elle les garde plus longtemps à l’esprit. »
Je suis très froid. En toutes circonstances. Même à la naissance de mon fils ou au moment où j’ai perdu mes deux grands-pères en l’espace de deux semaines. Je ne laisse rien sortir. » Simon Mignolet
Simon Mignolet affirme que c’est le football qui lui a appris cet état d’esprit. Quand il jouait à Saint-Trond, Roland Duchâtelet lui a donné ce conseil: « Ne te laisse jamais emporter par tes émotions. » Il n’a jamais oublié ce tuyau. Il pense que ça lui a été utile dans sa carrière. Il ne rumine rien, et c’est bien utile pour un gardien de but, pour un personnage public. Mais ce trait de caractère, il l’a aussi transposé dans sa vie privée.
Premier et seul amour
N’allez pas croire pour autant qu’il ne profite de rien. Les étincelles qui apparaissent dans ses yeux quand on évoque sa famille veulent tout dire. Sa femme Jasmien et son fils de deux ans et demi, Lex, sont tout pour lui. Un deuxième enfant pointera prochainement le bout du nez. Simon et Jasmien ont déjà passé plus de la moitié de leur vie ensemble. Ils sont sortis ensemble quand ils avaient à peine quinze ans.
À l’époque, ils se connaissaient déjà depuis quelques années. À partir de douze ans, ils se sont retrouvés dans la même classe, dans une école de Saint-Trond, la ville dont ils sont originaires. Trois années de cours en commun ont suffi pour qu’ils s’entichent l’un de l’autre. Et leurs condisciples de l’époque forment toujours leur principal cercle d’amis. « Jasmien est mon amour de jeunesse », dit-il. « Le seul amour de ma vie, je n’ai jamais eu d’autre petite copine. Je sais que ça peut paraître bizarre dans le monde actuel. Quand on a commencé à sortir ensemble, je n’étais pas le Simon Mignolet que je suis aujourd’hui. Elle ne m’a pas choisi parce que je suis joueur de foot et ça me convient très bien. Jasmien est une fille normale, comme je suis un gars on ne peut plus normal. Ce n’est pas une femme de footballeur typique, on n’est pas un couple du showbizz. »
Jasmien a aidé Simon à boucler ses humanités. À seize ans, il jouait déjà en équipe pro de Saint-Trond, et donc il avait peu de temps pour l’école. « C’était difficile d’y consacrer du temps et de l’énergie. Mais ma mère tenait à ce que j’aille au bout de ma rhéto, alors je me suis accroché. »
Il s’imposait donc des journées XXL. Entraînement le matin avec le noyau A, ensuite les cours, puis nouvel entraînement le soir avec la Réserve. « J’étais crevé en rentrant et je devais encore étudier. Ça a été deux années difficiles et Jasmien s’arrangeait pour que je reçoive tous mes cours. Elle n’avait pas tout parce qu’on ne suivait pas exactement le même cursus, et ce qu’il me manquait, d’autres potes s’en occupaient. C’était sympa et indispensable pour que j’aie une chance de réussir. »
Élève de sa mère
Simon Mignolet a finalement réussi sans trop de mal. Mais il faisait partie de la bande de chahuteurs. Pendant ce temps-là, sa mère, Bernadette, donnait cours de français et d’histoire dans la même école. Et dans la classe de son gamin! « C’était spécial, surtout pendant les examens. Des copains me demandaient de leur filer les questionnaires, et moi, j’avais évidemment envie d’avoir de bonnes notes dans les branches de ma mère. Je ne dis pas qu’on avait une classe de fous furieux, mais il y avait quand même quelques gars un peu turbulents, dont moi. C’est surtout pour ma mère que c’était embêtant parce qu’on l’interpellait régulièrement à la salle des profs. »
Les parents se sont coupés en quatre pour Simon et son frère Wouter, de trois ans plus âgé. La mère les aidait dans leurs devoirs, le père les conduisait aux entraînements quatre fois par semaine. Le week-end, ils assistaient aux matches, et chaque dimanche, il y avait le sacro-saint Match of the Day. Le club fétiche du père Stefaan? Liverpool! « Pour lui, ça a été surréaliste de me voir à la télé avec le maillot de cette équipe, après toutes ces années de sacrifices. Il est fou de foot, et mon transfert à Liverpool, c’était son rêve qui se réalisait. »
Ma femme n’est pas une femme de footballeur typique, on n’est pas un couple du showbizz. » Simon Mignolet
Pour sa mère, ça a été plus compliqué. « On a une famille très soudée, on passait beaucoup de temps ensemble. D’un coup, je me suis retrouvé en Angleterre et j’y suis resté neuf ans. Pour elle, le vide a été immense. Je pense qu’elle a été la plus heureuse du clan quand je suis revenu en Belgique. »
La famille exploitait les rares week-ends sans football pour changer d’air. « Toute la vie de mes parents a été organisée en fonction de la nôtre, notre football était leur fil rouge. Quand j’y repense, avec du recul, ça me fait quelque chose. Ils nous emmenaient à la mer, dans les Ardennes, dans des grandes villes. Et une fois ou deux par an, on partait plus loin. Ils voulaient nous faire découvrir le monde, d’autres cultures. J’ai eu une enfance magnifique, sans souci. On n’était pas riches, mais on avait tout. »
Clown
À 22 ans, Simon Mignolet est parti seul en Angleterre. Jasmien étudiait le droit à Louvain et tenait évidemment à aller au bout. Au moment de son transfert, Simon était aussi à l’Université, en sciences politiques. Il a décroché son bachelier. « C’était beaucoup de théorie donc je n’étais pas obligé d’aller souvent au cours. J’aurais aussi pu choisir le droit, c’était aussi fait pour moi. Je suivais les cours sur slides et en ligne. Je trouvais important de faire des études. À 18 ans, qui pouvait me garantir que j’allais percer dans le foot? Il me fallait une alternative. En plus, j’aimais bien ce que j’étudiais. Pas tellement l’aspect politique, mais tout ce qui est histoire et sociétal. »
Quand il a compris qu’il allait faire carrière et qu’il n’était plus obligé de suivre une formation… il a quand même décidé de continuer. Ses études lui permettaient d’avoir une structure. « Je m’entraînais le matin, et puis après, quoi? J’allais parfois jouer au golf, mais à partir du moment où tu ne sais plus comment occuper tes journées, tu cours le risque de succomber aux tentations de la vie d’étudiant. »
Il estime que cette période sans Jasmien a été la plus importante de sa vie. « Avant ça, on avait toujours tout fait pour moi. La lessive, le repassage, les repas. J’étais traité comme un prince, soigné aux petits oignons. Quand ce n’était pas ma mère qui me mâchait la besogne, c’était ma petite amie. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul et j’ai dû tout faire. Je suis devenu indépendant, je me suis structuré. Pour ma relation avec Jasmien, ça a été compliqué, bien entendu. Mais pour mon développement, ça a été un passage crucial. »
Jasmien a constaté cette évolution perso quand, un an et demi plus tard, et son diplôme en poche, elle l’a rejoint en Angleterre. Elle avait laissé un ado, elle a retrouvé un adulte. « Quand j’étais jeune, j’étais un plouc, une amusette. Rien à voir avec celui que je suis aujourd’hui. Je suis devenu très ponctuel et sérieux. Parce qu’en Angleterre, du jour au lendemain, j’ai été obligé de me structurer. Mais mes potes d’enfance, Jasmien, mes parents et mon frère te diraient certainement qu’en privé, je suis complètement différent du Simon Mignolet que les gens voient dans le foot. À l’école, j’étais un clown et je n’avais pas peur de ridiculiser les gens. Parfois, ça rendait Jasmien assez nerveuse… Pour les profs, je n’étais pas l’élève le plus facile à vivre. Quand on revoit nos amis de l’époque et qu’on se remémore certaines scènes, je suis souvent concerné. »
La paix!
Il devait changer! C’est ce qu’il dit aujourd’hui. S’il voulait réussir dans le foot, il avait intérêt à devenir plus sérieux, à se concentrer sur ses études pour faire sortir le clown qui vivait en lui! Ce n’était pourtant pas les tentations qui manquaient en Angleterre. « Quelque part, c’est ce qui m’a permis de faire carrière. D’un autre côté, c’est dommage. J’ai abandonné une partie de ma personnalité, je n’ai pas pu m’exprimer totalement. Le football a fait de moi un homme différent de celui que j’étais. J’ai aussi dû mettre certaines choses de côté. Par exemple, je n’avais pas la vie sociale de mes copains, alors que je ressentais les mêmes besoins. La vie d’étudiant qu’ils ont eue, que Jasmien a eue aussi, ça m’aurait parfaitement convenu. Mais je vois le bon côté des choses, je me dis que si j’avais connu tout ça, je me serais peut-être égaré… Mon côté amusette ressort parfois dans le vestiaire. Là, mes coéquipiers voient un Simon Mignolet différent de celui que le grand public imagine. Les gens me trouvent sérieux, à la limite triste. »
Ma mère me donnait cours, des potes me demandaient de leur filer les questionnaires d’examens. » Simon Mignolet
Des études universitaires. Une vie d’entrepreneur avec son bar à café Twenty Two à Saint-Trond. Toujours avec sa petite amie d’enfance. Un discours rationnel. Normal qu’on se fasse cette image de lui. « Pour être honnête, je me suis aussi servi de cette réputation. Je trouve chouette qu’on me fiche la paix vu que j’attire peu l’attention. Mais je sais, au fond de moi, que ce que je montre au monde extérieur n’est qu’une petite partie de moi-même. Si je n’avais pas été footballeur professionnel, j’aurais été un gars complètement différent. »
À l’armée
Son long séjour en Angleterre n’a pas seulement changé l’homme, il a aussi renforcé son lien avec Jasmien. Après des années passées en famille et avec leurs amis, ils se sont retrouvés seuls. « Plus possible de s’évader, de s’éloigner l’un de l’autre, on passait tout notre temps ensemble. Quand tu te retrouves à table en tête à tête, tu ne peux plus éviter aucun sujet de conversation. On a vraiment parlé de tout, et depuis l’Angleterre, on se connaît mutuellement sur le bout des doigts. »
L’après-midi, ils se rendaient régulièrement dans un bar à café. Une institution là-bas, et un concept qui existait à peine chez nous à l’époque. Simon Mignolet a acheté deux maisons dans le centre de Saint-Trond. Dans un premier temps, il envisageait de les transformer en appartement. Mais le rez-de-chaussée devait avoir une vocation commerciale. Alors, il a proposé à son frère d’imiter l’exemple anglais et d’y servir du café.
Le Twenty Two est maintenant implanté en deux endroits et s’est agrandi récemment. Aujourd’hui, en plus de café, on y sert des lunchs. « Je trouve magnifique qu’on soit arrivés à ce que c’est aujourd’hui. Wouter y est pour beaucoup. Je me vois continuer là-dedans après ma carrière. Je veux être mon propre patron, fixer mon agenda, mettre en place la structure que j’ai en tête, concrétiser mes idées, relever des défis, réussir quelque chose. J’aime prendre les commandes. Dans ma vie, j’ai déjà pris beaucoup de décisions, et souvent, il s’est avéré qu’elles étaient bonnes. »
Le bar à café n’est qu’une petite partie de ce que les frères ont en tête. Simon Mignolet voit plein d’opportunités d’après-carrière. « On vend déjà des grains, du lait, des pâtisseries, des machines dont on assure l’entretien pour l’horeca. Avec mon réseau, je pense qu’on peut encore s’étendre méchamment. » Son frère est aussi son ami… Dans le temps, ils étaient continuellement dans la confrontation: au tennis, au foot, au basket, à vélo. Aujourd’hui, ils sont unis comme les doigts de la main. « On se comprend sans se parler, même si on est totalement différents. Il agit à l’instinct, il est très direct dans ses décisions alors que j’analyse tout, que je réfléchis trois fois avant de décider. On se complète bien. Évidemment, on a parfois des discussions, des conflits, mais ça ne dure jamais longtemps. Dès qu’il y a un abcès, on le perce. »
Il est devenu son propre patron parce que le foot lui a apporté de quoi investir. Et s’il n’avait pas été footballeur professionnel… il ne sait pas ce qu’il serait devenu, professionnellement. « Je pense que j’aurais marché sur les traces de mon père et que je serais entré à l’armée. Il était électricien sur des avions. »
« Visage de la réforme fiscale »
Sans le vouloir, Simon Mignolet a été un visage du dossier de la réforme fiscale du monde du foot, quand les médias ont pris son salaire en exemple. Il revient sur cette affaire: « Qu’on parle de moi, ça ne me cause aucun problème. Même si on grossit les choses, même si on donne de fausses informations. Je savais que le risque existait quand j’ai choisi de devenir footballeur professionnel. On ne doit pas se plaindre, on est bien payés pour ça. Mais ce qui me dérange dans cette affaire de sécurité sociale, c’est qu’on ne nous a jamais donné la parole. Toutes les parties concernées ont pu donner leur version, pas nous. Comme si on nous avait fait taire. »
Alors, c’est enfin l’occasion de s’exprimer… « Non! Je ne vais pas faire ça dans une interview, ce serait un monologue, je ferais la même chose que les autres parties qui se sont exprimées, je ne serais pas droit dans mes bottes si je tombais là-dedans. Ces monologues, c’est justement ça le souci. Plusieurs médias ont réclamé un dialogue mais il n’en est rien sorti. »
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